Quand Ubisoft Mainz a annoncé qu’Anno quitterait les usines fumantes du XIXe siècle pour remonter jusqu’à la Rome impériale, la promesse était énorme. Comment passer après Anno 1800, devenu l’un des city builders les plus aimés de la scène PC, sans donner l’impression de livrer un simple skin antique du même jeu ? Anno 117 Pax Romana arrive donc avec une double pression sur les épaules : faire rêver avec ses toges, ses aqueducs et ses amphithéâtres, tout en prouvant que la formule peut encore évoluer. Est-ce une nouvelle expérience ou reste-t-on trop proche de l’ombre immense laissée par Anno 1800 ?
Avant même de poser la première brique de votre futur amphithéâtre, Anno 117 vous propose deux portes d’entrée. La campagne, d’abord, pensée comme un tutoriel scénarisé d’une dizaine d’heures. Elle suit Marcia ou Marcus dans une histoire légère, utile pour comprendre les bases sans pression, mais vite éclipsée par le véritable terrain de jeu, le mode Sandbox. C’est là que Pax Romana dévoile tout son potentiel, avec un large choix de paramètres, des rivaux aux personnalités variées et surtout la possibilité de démarrer soit dans le Latium ensoleillé, soit dans les terres brumeuses d’Albion, sorte de Gaule fictive.
Et une fois la partie lancée, les habitués le sentiront immédiatement, on est bien dans un Anno classique, avec ses îles à coloniser, ses chaînes de production à optimiser et cette sensation unique de faire grandir une cité qui prend vie sous vos yeux. Sauf qu’ici, la formule a été subtilement réajustée pour laisser plus de liberté et éviter les blocages brutaux qui pouvaient freiner Anno 1800.
De la nouveauté à la pelle
Cette mise en place passée, on découvre rapidement ce qui distingue réellement Pax Romana de ses prédécesseurs. Le système de besoins a été entièrement revu, et c’est peut-être le changement le plus important de cet épisode. Les habitants ne réclament plus une liste rigide d’objets à fournir dans un ordre précis. Leurs attentes sont désormais regroupées par grandes catégories, comme la nourriture ou l’hygiène, et plusieurs productions peuvent remplir la même jauge. Cela semble anodin, mais en pratique, cela transforme doucement la philosophie d’Anno.
On n’est plus obligé de se précipiter sur chaque chaîne pour éviter une crise. On peut choisir les biens qui s’intègrent le mieux dans son île, ajuster les priorités, accepter qu’un quartier vive avec des besoins partiellement remplis. Couplé aux attributs qui influencent directement la santé, les revenus ou la satisfaction, ce système donne une vraie direction stratégique à la moindre brique posée. Résultat, la progression est plus souple, plus lisible, tout en conservant cette profondeur qui fait le charme de la série. Et très vite, cette nouvelle logique trouve un écho direct dans la structure même du monde.

Deux mondes s’offrent à vous dans Anno 117
Anno 117 repose en effet sur deux régions distinctes, pensées pour offrir des dynamiques de jeu vraiment différentes. Le Latium, berceau lumineux de votre empire, propose une expérience plus traditionnelle : de grandes îles, un terrain fertile, une montée en puissance romaine en quatre classes sociales. C’est ici que l’on construit ses premières cités majestueuses, que l’on érige les monuments et que l’on goûte à la montée en gamme des habitants.
En face, Albion joue une tout autre partition. Ses plaines détrempées, ses forêts épaisses et ses marécages imposent une approche plus rusée, presque survivaliste. On y développe des villages plus dispersés, on jongle entre traditions celtes et influence romaine, et chaque choix d’urbanisme entraîne des conséquences visibles sur les ressources produites. L’intérêt vient surtout de la complémentarité entre les deux régions, aucune ne peut tourner en autarcie, et le jeu pousse naturellement à établir des routes maritimes structurantes. Cette dualité géographique influence aussi la manière de bâtir ses villes.

Toutes les routes mènent à Rome
L’un des ajouts les plus visibles d’Anno 117, ce sont les routes diagonales, qui changent complètement la façon d’organiser ses quartiers. Là où les anciens épisodes imposaient une grille stricte, Pax Romana laisse dessiner des rues qui épousent le relief, forment des places triangulaires ou suivent le tracé naturel des falaises. Les cités gagnent en caractère, en rythme, et paraissent beaucoup plus organiques qu’auparavant.
Les bâtiments profitent aussi de ce nouveau cadre, leurs zones d’effet se basent désormais sur la manière dont les routes les relient, ce qui encourage à créer de vrais flux urbains plutôt qu’à empiler des blocs optimisés au millimètre. Avec les nombreuses décorations, mosaïques, colonnades, jardins, murs, statues, on a vite l’impression de sculpter une maquette vivante plus qu’une simple ville fonctionnelle. C’est probablement l’épisode qui permet les créations les plus élégantes de la série. Et derrière ces villes plus vivantes, il y a surtout un enjeu majeur, faire circuler les marchandises pour soutenir leur croissance.

Le commerce en tête dans Anno 117
Dans Anno 117, le commerce reste le moteur de toute la partie. Très vite, on met en place des routes maritimes entre le Latium et Albion, chacune spécialisée dans des ressources que l’autre ne peut pas produire. On répartit les productions sur plusieurs îles, on installe des entrepôts pour centraliser les flux, puis on règle les trajets de chaque navire pour éviter les goulots d’étranglement. C’est là que la magie Anno réapparaît, tout fonctionne… jusqu’au moment où une chaîne sature. Un besoin augmente, une île manque d’espace, un bateau se retrouve surchargé, et l’équilibre se casse. On réajuste alors, on teste, on affine, et petit à petit, la machine repart.
La recherche s’intègre très bien à cette dynamique. Le grand arbre technologique permet d’améliorer l’efficacité, d’alléger la logistique ou de tirer davantage de profit de chaque citoyen. Avec le Hall of Fame, qui débloque des bonus permanents au fil des parties, Anno 117 encourage clairement les approches variées et les replays. Cette montée en puissance économique pose naturellement une autre question, comment protéger tout cet empire en construction ?

Si tu veux la paix, prépare la guerre
Anno 117 adopte une vision assez pragmatique de la guerre. Elle existe, elle compte, mais elle ne cherche jamais à voler la vedette au city-builder. Les affrontements navals sont les plus convaincants, les patrouilles protègent vos routes, les frégates escortent les convois et les escarmouches rythment l’exploration. La mer impose d’ailleurs un vrai travail d’anticipation, car une perte de bateau peut suffire à bloquer une chaîne entière. On arme donc par nécessité, pas par plaisir de faire feu.
Au sol, la situation est plus mitigée. Les unités répondent correctement, les formations sont lisibles, mais les batailles manquent clairement de profondeur. On déplace une poignée de troupes, on capture un point clé, et l’engagement se règle souvent en quelques secondes. Ce n’est ni frustrant ni incohérent, mais ce n’est pas non plus un pan qui retient l’attention. On sent que le gameplay terrestre a été pensé comme un outil de progression, notamment dans la campagne, plutôt qu’un véritable système stratégique.
Ce qui fonctionne mieux, en revanche, c’est tout ce qui gravite autour du conflit. L’Empereur peut exiger des contributions, certains rivaux se montrent imprévisibles, et la pression militaire influence parfois la façon de développer une région. On évite d’installer une chaîne de production trop exposée, on renforce certaines frontières, on surveille les tensions montantes… Une couche de gestion plus que de combat, qui colle finalement assez bien à l’identité d’Anno 117.

Un jeu magnifique
Après avoir posé les bases de sa gestion et de ses enjeux militaires, Anno 117 dévoile une autre partie de son identité, son sens du spectacle. Visuellement, Pax Romana est un régal permanent. Ubisoft Mainz n’a pas seulement recréé des villes antiques, le studio a capté ce qui fait leur charme. Les toits ocres, les forums débordants d’activité, les mosaïques, les temples, les champs de lavande, les villas perchées sur les collines… chaque bâtiment semble pensé pour raconter une histoire en un coup d’œil. Zoomer sur ses quartiers devient un plaisir en soi, les citoyens discutent, transportent des amphores, déambulent en toge ou s’activent dans les ateliers, renforçant la sensation d’un monde vivant plutôt que d’une simple grille de production.
Albion bénéficie d’un soin tout particulier. Ses marécages brumeux, ses reliefs abrupts, ses forêts denses et son ciel constamment chargé donnent une identité forte à la région. Le contraste avec Latium est immédiat et sert à la fois le gameplay et l’immersion. La technique suit le même niveau d’exigence. L’eau est superbe, les effets de lumière enveloppent les villes d’une chaleur méditerranéenne, et les routes diagonales permettent enfin de composer des quartiers plus naturels, plus organiques, presque plus humains. Seule ombre au tableau, quelques modèles de personnages en cinématique manquent de polish, avec des animations faciales parfois en décalage. Rien de grave, mais cela ressort dans un jeu aussi léché. Et si Anno 117 impressionne par son esthétique, il marque aussi des points sur un terrain plus discret mais essentiel, le confort de jeu.
Anno 117 cohérent tout le temps ?
L’interface est globalement très bien pensée. Les chaînes de production sont faciles à suivre, les besoins de la population restent lisibles, et la gestion des routes commerciales gagne en efficacité grâce à des menus plus clairs. On duplique des bâtiments, on déplace des quartiers entiers, on teste des configurations… tout cela se fait sans friction. Les outils de planification ont gagné en souplesse, ce qui encourage les réaménagements constants, presque comme si le jeu nous invitait à sculpter la ville plutôt qu’à simplement la poser.
Tout n’est pas parfait pour autant. Certaines informations demandent encore trop de clics pour être trouvées, notamment lorsqu’il s’agit de comprendre quels bâtiments influencent réellement un quartier. Le manque d’overlays visuels précis oblige parfois à naviguer manuellement d’un atelier à l’autre pour vérifier les effets positifs ou négatifs, là où un système plus lisible aurait été bienvenu. Rien de bloquant, mais dans un jeu aussi riche, la clarté reste un atout majeur. Ces petites scories mises à part, Anno 117 reste un city-builder très agréable en main, qui n’éprouve jamais le joueur par son interface, mais lui donne les outils pour ajuster, corriger et refaire jusqu’à obtenir la ville idéale.
Une fois les mécaniques digérées et les premières villes bien installées, une question s’impose, est-ce qu’Anno 117 tient réellement sur la durée ? La série a toujours vécu sur cette promesse d’un jeu qu’on relance des mois, parfois des années, après sa sortie. Pax Romana ne déroge pas à la règle, et va même plus loin sur certains points.

Un jeu très long
L’arbre de recherche ajoute par exemple une couche supplémentaire extrêmement motivante. Il est gigantesque, bien plus vaste qu’il n’y paraît au début, et surtout impossible à compléter en une seule partie. Certaines avancées demandent un investissement lourd, d’autres modifient subtilement votre approche (réductions des coûts d’entretien, nouveaux types d’entrepôts, améliorations pour la flotte, boosts de population…). Résultat, chaque run devient une spécialisation. Une orientation militariste vous mène vers des troupes plus efficaces et des fortifications avancées. Un axe économique offre des échanges internationaux plus rentables. Un focus urbain débloque des infrastructures rares qui transforment la physionomie de vos villes.
Le principe de progression persistante via la « Salle de prestige » renforce encore ce sentiment. On débloque progressivement des avantages légers mais permanents, et on commence chaque nouvelle partie avec un petit héritage des précédentes. L’objectif n’est pas de rendre les runs faciles, mais de créer une continuité, un fil rouge personnel qui donne envie d’enchaîner les parties au lieu de les consommer indépendamment.
Du défi partout, tout le temps
Et puis il y a cette dimension qu’on oublie parfois dans Anno, les défis émergents. Des pénuries, des incendies, des chaînes logistiques trop longues, des routes qui se croisent, des îles saturées où chaque case compte, une fertilité rare qui oblige à repenser un pan entier de l’économie… L’endgame n’est pas une simple routine où tout tourne parfaitement. C’est une suite de micro-problèmes qui se greffent à un empire devenu trop vaste pour être totalement contrôlé. C’est là que le jeu trouve son rythme si particulier, celui d’un puzzle économique vivant qui se déforme au fil des heures.
Plus l’empire devient grand, plus les arbitrages se multiplient. Installer un deuxième centre industriel ? Déplacer tout un quartier résidentiel pour optimiser la couverture d’un aqueduc ? Créer une île-entrepôt dédiée à une seule marchandise pour fluidifier les exportations ? Ces choix créent une forme de méta fascinante, où l’on passe d’un rôle de bâtisseur à celui de stratège logistique.
Enfin, Anno 117 est taillé pour durer au-delà de sa version de base. Les zones encore inexplorées de la carte globale, les divinités dont on devine qu’elles pourraient s’étendre, la structure même du jeu pensée pour accueillir de futures régions… Tout indique que l’expérience prendra encore de l’ampleur. On sait comment Anno 1800 a évolué, Pax Romana suit clairement la même philosophie.
En l’état, l’endgame est déjà dense, varié, gratifiant… et surtout capable de durer des dizaines d’heures sans jamais s’éroder. Une fois lancé, on a cette sensation familière de n’avoir joué « que vingt minutes », alors qu’il est déjà deux heures du matin.